lundi 3 février 2014

Hang the DJ!


Le fan snob de musique (que je suis) a souvent un souci. Il passe son temps à regarder d'un air dédaigneux les goûts musicaux de ses amis ("Quoi? Tu écoutes ça???" - air d'épouvante ), rêve des dancefloors londoniens ("Là bas, on peut danser sur les Smiths" - air de ravi de la crèche), peut juger les gens qu'il ne connaît pas sur leurs goûts ("Attends, il a un album de Ks Choice" -  ton définitif) et a depuis longtemps brulé tout ce qui était antérieur à son entrée dans l'ère du bon goût musical, le tout assorti d'une mauvaise foi caractérisée et de quelques mensonges auquel il commence à croire lui-même ("j'ai grandi en écoutant Jacno", la bonne blague).

Dit comme ça, le fan snob a tout d'un être détestable. Mais pourtant, c'est un être humain comme les autres qui se retrouve face à certaines contradictions difficiles à résoudre. La plus importante étant de se rendre compte que parfois (voire même souvent), il a, lui aussi, un penchant pour écouter des musiques de type "merguez" (en gros, une musique "fout la honte" pour tout personne profondément attachée à plus d'un album d'Arab Strap).

Car oui, le fan snob de musique possède lui aussi un corps; corps qui parfois se désolidarise de son cerveau pour marquer le rythme d'une chanson un peu facile. Pour satisfaire ce goût honteux pour la mauvaise musique, le fan snob de musique a heureusement plusieurs techniques à sa disposition.

> Guetter les mariages d'amis qui ne sont pas eux-mêmes fans snob de musique. Le mariage de fans snobs de musique n'est bizarrement pas le meilleur endroit pour faire la fête, certes, il est possible de lever les bras en criant "Whouhou!" sur du Blondie, de bouger ses jambes sur Arcade Fire, de se lancer dans une danse épileptique sur Joy Division et de rentrer en communion avec le reste de la terre (et les esprits de la forêt) sur Animal Collective MAIS il y manque souvent cette dose d'improbable indispensable à toute fête réussie. Là-dessus je me base sur le succès répété et quasi automatique de Femme que j'aime (on appréciera d'ailleurs ce titre qui rend un hommage appuyé à la langue de Molière) de Jean-Luc Lahaye. Bref, dans un mariage "normal", le fan snob de musique pourra espérer danser sur quelques bons standards du moment et d'antan (merci Tatie Yvette) voire entamer sa choré préférée sur Alexandrie Alexandra (joie!).


> Amener ses collègues et amis à faire du karaoké: dans un lieu public ou en appartement, la sélection des karaokés ou de Singstar est rarement de bon goût; facile d'y trouver un Bonnie Tyler ou un Lady Gaga de bon aloi. Le fait de devoir chanter en groupe et la notion de compétition étant totalement décomplexant, il est très facile, pour le fan snob de musique, de dissimuler le fait, qu'en réalité,  il connaît par coeur, toutes les paroles et les inflexions de voix du titre original... et il peut s'en donner à coeur joie vu que chanter fort est indispensable.



> Faire du jogging (ou n'importe quel sport qui demande 40 minutes d'effort solitaire et la possibilité  d'écouter de la musique très fort). Le sport, après une journée de travail, est une activité suffisamment rébarbative (au moins dans ses 10 premières minutes) pour qu'elle ne s'accompagne pas en plus de chansons certes très belles mais un peu plombantes (qui a déjà fait des abdos sur du Françoiz Breut?). La gym suédoise l'a bien compris et base son succès non pas sur la qualité de ses enchaînements mais sur la satisfaction des participants à sautiller de concert sur Rihanna ou à se relaxer sur Enya. Comme faire du sport nécessite d'avoir un rythme, c'est donc l'activité parfaite pour écouter une musique dont les limites de la rythmique (et la notion de sous-qualité) ont été poussées dans leurs retranchements. Autre point non négligeable: l'Ipod garantit le fan de musique d'une certaine discrétion dans l'écoute.




> Aller à la fête foraine ou à la fête du village (ou au bal des pompiers du 14 juillet). Là, le fan snob de musique peut trouver tous les ingrédients pour vivre un grand moment d'affranchissement musical. Britney est à fond et le DJ hurle dans son oreille ("alleeeeez, maximum machine"), voire, il peut danser et manger des cochonneries. L'enchantement s'arrête quand retentit Michel Sardou et que les gens commencent à faire des trucs vaguement basques (en gros, se mettre par terre et faire la vague ou quelque chose d'approchant).



> Justifier un choix douteux par la phrase "C'est très bien produit". En gros, cela veut dire que derrière la console, des types comme Calvin Harris ou Pharrell Williams cachetonnent à mort et que, vu qu'ils ont un peu de crédibilité, ils donnent à l'amateur de musique la possibilité d'assumer à peu près n'importe quelle horreur sur laquelle ils apposent leur nom. Mais attention! Pour soulever cet argument, il est important que le fan snob de musique se tienne très au courant des tendances: autrefois adoré, Timbaland à force de pénibles "Hey" posés sur des titres WTF (on parle de l'album avec M. Pokora?) a perdu toute crédibilité.





> Attendre qu'un autre média crédibilise (enfin) un titre un peu putassier. Je me souviendrais longtemps du terme "craquettes" utilisé par les Inrocks pour qualifier les Sugababes, improbable girls band anglais et leur très chouette Overload (il y avait déjà eu un précédent dans ce même magazine en 1999 avec le titre Pure shores de All Saints). Il faut également remercier la série Girls pour avoir réhabilité en moins de deux minutes Halo de Beyoncé et Dancing on my own de Robyn.







>  Être un peu éméché en soirée. C'est bien connu, l'alcool rend sourd et aimant. Le fan snob y trouve donc l'elixir parfait pour faire passer pour du second degré ou de l'inconscience le fait de danser comme un fou sur Taylor Swift. Et puis de toute manière, le lendemain, tout le monde aura oublié.



Outre ses quelques techniques, le fan snob de musique retrouve néanmoins le sourire quand de bons groupes font de grands albums de dancefloor. Là, plus de contradictions avec lesquelles vivre, il peut bouger son corps et sa tête dans un même élan. Et pour cela merci New Order, merci Hot Chip, merci Fuck Buttons, merci Daft Punk, merci LCD Soundsystem et bien d'autres...



Allez cheers!

3 commentaires:

  1. C'est grand cet article. Il m'a néanmoins rappelé que je vais rater le couscous cette semaine

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  2. Ah ah ah ! Je suis ravie que tu nous utilises pour étancher ta soif de Scaramouche (quoique ça c'est de la bonne musique) et autre Heart of glass, Ramona !! Vive les karaoké (dingue, je n'aurais jamais pensé pouvoir penser cette phrase il y a 5 ans)

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