jeudi 30 mai 2013

Passion Liberty

Je me rends peu à peu compte que je suis capable d'acheter n'importe quoi à partir du moment où le liberty s'immisce dans l'équation (robes d'été alors que le soleil ne vient pas, bracelets en tout genre, bougies Bonpoint parce qu'elles ont une petite housse, idem pour leurs savons, culottes Baby doll immettables, housses de coussins, trousses à n'importe quoi, porte-cartes et j'en passe).  J'en serais même à essayer de reprendre la couture, activité pour laquelle je suis très peu douée, rien que pour pouvoir utiliser les métrages que j'accumule depuis plusieurs années dans mes placards.

Pourquoi? parce que le liberty repose sur un principe bien plus intéressant que la simple accumulation chaotique de fleurs: l'exécution graphique emprunte tant aux codes esthétiques de l'art-nouveau (la célébration de faune et de la flore, la récurrence de l'arabesque et de la plume de paon...) qu'aux influences nordiques (le principe de la répétition, le motif naïf, les scènes champêtres), les combinaisons chromatiques d'une douzaine de couleurs sont souvent sublimes et acrobatiques, et puis bien sûr la délicatesse et la fraîcheur du coton tana law ne sont plus à démontrer. Mais attention, j'entends du vrai Liberty, préférence marquée pour sa version Tana Lawn, envers aussi beau qu'endroit et douceur proche de la soie. En bonne ayatollah, je regarde avec mépris tout ce qui se revendique comme ou prétend imiter cet imprimé mythique et, pire, dévisage les personnes qui me disent "ah oui le tissu à fleurs" quand je leur en parle avec des étoiles dans les yeux.

En France, le liberty est le plus souvent associé à la marque Cacharel qui popularisa ses imprimés, et puis à une certaine esthétique qui oscille entre David Hamilton pour le côté jeunes filles en fleurs ou La petite maison dans la prairie... Pour moi, ce tissu évoque bien sûr l'enfance, mais aussi les chemises de ma mère que je garde précieusement, et puis surtout mon amour pour l'Angleterre et Londres plus particulièrement. J'y projette l'élégance du magasin qui fit naître ce tissu avec ses ascenseurs en bois, son allure de vieux manoir, son rayon fleuriste où les couleurs propres aux jardins anglais se déploient avec douceur.

En mettant du liberty dans ma maison et dans mes vêtements, j'ai l'impression d'accéder à un peu de ce raffinement anglais, de gagner en noblesse avec l'envie de se tenir un peu plus droite et de m'asperger des parfums de Miller Harris. Dans ce fantasme pur, je lirais vraiment des poèmes de  John Keats lovée dans mon canapé Chesterfield vert de gris (c'est important) et comprendrais toute la subtilité des blagues des Monty Python.

Comme je me tiens toujours aussi mal et que la poésie peut me barber, Liberty a pensé à moi en développant des motifs beaucoup plus accessibles en termes d'imaginaire:


Cheers!




mardi 28 mai 2013

La séance DVD #1: "Take this waltz"



Le dernier film de Sarah Polley, "Take this waltz", apparaît à première vue comme une énième comédie douce-amère sur des trentenaires coincés entre deux âges et deux aspirations de vie. Générationnel certes, mais un peu vain, tous les ingrédients y sont: une jolie bande-son, des comédiens charmants, une lumière magnifique qui baigne d'or chaque image, des personnages à la loufoquerie désarmante... Pourtant lentement, cruellement, le film tisse une toile plus complexe, ppse un constat qui tient dans une simple phrase prononcée à l'occasion d'une scène de douche digne d'un tableau d'Ingres: "New things get old ".

Sans jugement, la réalisatrice laisse ses personnages apprendre, se heurter à la désillusion. Le couple use non pas les sentiments mais les rend moins vivants. Tout finit par avoir le même goût, même la douceur d'un foyer pourtant aimant. On y fait des blagues de mauvais goût et le quotidien peut prendre des allures mortifères.

Le film souffre de quelques longueurs mais il contient une scène qui résume en 2 minutes et sans parole, la valse des sentiments de ses personnages: attirance, solitude, tristesse, enivrement et puis d'un coup tout retombe, on vous ouvre la porte et votre tour est terminé. Une scène magnifiquement filmée, entre clair-obscur, très intense qui reste et vous rend mélancolique.




Cheers!


mercredi 22 mai 2013

"I have no idea how people expect me to be. Some pervert with a pen? I just don’t know".

Les dessins de Robert Crumb me mettent souvent mal à l'aise, j'en reconnais le génie mais leur contenu lubrique, frontal et violent me fascine tout autant qu'il me fait presser le pas.  Sentiment d'autant plus ambigu  que c'est pourtant ce qui est le plus intéressant dans son œuvre: ce trait maniaque, malade, qui ne se départit pas de ses obsessions et ne fait aucune concession à la satire de l'Amérique des années 70 (voir les célèbres planches sur la Manson Family, les personnages tels que Mr Natural, America...). On y retrouve mêlés la sombre désillusion des textes de Joan Didion, la mise à nu des pulsions sexuelles et les vapeurs hallucinogènes de San Francisco.

Finalement, c'est lorsqu'il aborde des sujets plus apaisés que ma relation à son travail est la plus simple: comme ses contributions dans la série des American Splendor ou ses portraits de groupes de blues. On y ressent l'envie de transmettre l'amour de cette musique, de figurer les personnages qui l'ont habitée et fait vivre mais également le contexte dans lequel elle s'est façonnée. Une nouvelle façon de traiter l'image d’Épinal (le groupe familial, la pose avec les instruments, ambiance bayou et alcool) mais pour faire le portrait, à la manière des photographies d'August Sander, d'une Amérique de l'ombre et pourtant lumineuse.
Robert Crumb’s Heroes of Blues, Jazz & Country
Farming Family, 1912, August Sander

Et puis il y a ce rapport à la modernité si complexe chez Crumb, le dessinateur de toutes les avant-gardes sur le terrain stylistique est avant tout un homme qui regarde le passé avec nostalgie. Une des planches qui m'a sur ce point le plus marquée est celle parue dans Mr Nostalgia représentant l'évolution d'un paysage, passant de l'Amérique de Huckelberry Finn à celle de Stephen Shore. Une puissance d'évocation folle sans un seul texte associé.

R. Crumb, Mr Nostalgia, A short story of America, 1998
S. Shore. Uncommon places, 1982

La rétrospective qui s'était tenu l'an dernier au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris m'a permis de comprendre que finalement l’œuvre qui permet de trouver un point d'ancrage vis à vis du grand public est probablement son traitement de la Genèse. Crumb ne fait pas l'impasse sur la violence des scènes décrites dans l'ancien Testament et redonne ainsi à ce texte que l'on envisage par la métaphore, son caractère terrien. Le pictural de Crumb ne sublime pas, il montre que puissance, cruauté et aveuglement sont autant de forces mises en œuvre lorsqu'un Dieu est convoqué.


Robert Crumb est un personnage touchant, passé par beaucoup d’excès et par une famille où la folie et la maladie rôdent.  Pour le découvrir, ne pas hésiter à regarder le documentaire réalisé par Terry Zwigoff: 
 

Cheers !

Vestiaire iconique #1: le manteau de Margot Tenenbaum






















Il y aurait beaucoup de choses à dire sur le personnage de Margot Tenenbaum dans "The Royal Tenenbaums", son caractère tout Salingerien de singe savant rebelle, son désir de ne pas grandir et surtout cette tension intérieure qui affleure sous le flegme a priori constant.

Mais comme un personnage se construit également par ses vêtements et que Wes Anderson est un homme de goût, je retiens ce manteau de femme entretenue trop long, trop chaud et pourtant si désirable qui contraste avec la barrette d'enfant sage et les robes Lacoste de joueuse de fond de court.

J'ai trouvé le mien à la braderie A.P.C de cet hiver, il ne reste désormais plus qu'à descendre du bus au son de These days de Nico :





Cheers!

mardi 21 mai 2013

Dérive




















Qu'est-ce qui fait d'un film un chef d’œuvre?

Il y a des films sur lesquels tout le monde s'accorde pour les trouver sublimes ou d'une force particulière et qui pourtant peuvent ne pas vous toucher. Le chef d’œuvre aurait cette vertu de parler à tous, d'être universel, de transcender les goûts de chacun pour définir par sa seule "beauté" un terrain d'entente, sans discussion. Si le mythe du chef d’œuvre se construit grâce au collectif, le chef d’œuvre, comme tout expression artistique parle avant tout à l'intime. Il vous remue, imprime votre cœur, votre cerveau, touche à vos sens... Il vous enrichit, vous fascine et loin de vous asséner une vision du monde, vous invite à le voir différemment. 

C'est en regardant Mud au cinéma que j'ai repensé très fortement au chef d’œuvre ultime  La nuit du chasseur de Charles Laughton. Pourtant vu il y a longtemps, ce film m'a, comme tout le monde, profondément marquée. J'en ai gardé des images très fortes: l'omniprésence de la rivière, un homme double charismatique et inquiétant à la fois, la venue de l'étrange, la nature qui veille sur l'innocence, et ces enfants qui dérivent dans la nuit.

Même s'il ne m'a pas autant bouleversé que Take Shelter, Mud reprend un grand nombre de ces figures, et c'est un bien joli héritier. On a envie de voir Ellis et Neckbone dériver encore un peu mais cette fois sous la douce lumière des fins de journée au bord du Mississippi. Et puis, parce qu'il n'y a rien de plus beau que cette scène, un extrait pour la route:




Cheers!