mardi 3 décembre 2013

Les voyages immobiles

Sebastiao Salgado, Big Horn Creek, Yukon Territory, Canada
























Hier je suis allée au concert d'Agnès Obel au Trianon. C'était bien sûr très beau, une formation ramenée à l'essentiel (un piano, un violoncelle, un violon), des harmonies de voix qui vous transportent et des chansons qui laissent entrevoir, sous l'apparente blondeur angélique, la noirceur. Si le costume de lumière d'Agnès Obel m'a rappelée qu'en matière de style et d'élégance, nous ne sommes bien sûr pas tous logés à la même enseigne (cette fille peut porter un costume blanc à la Elvis, être coiffée/décoiffée comme NKM sans paraître le moins du monde ridicule), ce concert m'a également rappelée combien les chansons, de manière générale, peuvent vous transporter, dans le temps, dans l'espace, traîner avec elles leur lot d'émotions. Une évidence, tant la musique peut nous faire pleurer, danser, communier... mais un rappel toujours aussi surprenant quand il vous prend de court.

Il faut savoir que mon fils de presque 3 ans écoute tous les soirs depuis environ 34 mois le premier album d’Agnès Obel. Au début, c'était surtout pour nous, mauvais parents, une aide à l'endormissement; les douces mélodies de Philharmonics semblaient avoir un effet très apaisant sur lui.  Puis il s'est pris au jeu, les réclamant le moment venu d'aller au lit. Si désormais j'associe cet album à l'ensemble de mes débuts de soirées depuis 3 ans, la chanson Brother Sparrow, elle, est liée à un instant très précis. Nous étions à Copenhague, et il venait d’attraper la varicelle. Maladie assez bénigne, c'est sûr, mais première vraie source de trouble pour moi, peu habituée à voir mon enfant souffrir autant tout en étant autant désarmée pour l'aider. Sa peau auparavant si jolie, si douce était recouverte de tous ces boutons, il semblait souffrir le martyre en dépit des baumes apaisants, des multiples douches calmantes. Le soir venu, les démangeaisons étaient encore plus intenses. La nuit était donc souvent agitée et je me souviens l'avoir souvent pris dans mes bras pour le rassurer en écoutant cette chanson. Le fait que nous soyons au Danemark à ce moment là (Agnès Obel est danoise), je ne sais pas pourquoi, a particulièrement ancré cette chanson dans mes souvenirs. De fait, quand je l'entends, je me retrouve transportée dans cette chambre qu'on nous avait si gentiment prêtés, serrant dans mes bras l'objet de mes inquiétudes, attendant que la fatigue fasse son œuvre, regardant par la fenêtre cet environnement étranger et du coup, un peu fascinant.

Il y a beaucoup de chansons, grandes ou petites, émouvantes ou non, qui me font réaliser ces voyages immobiles. Il y a les chansons liées à des souvenirs, quatre exemples:

> Rome de Phoenix (sur Wolfgang Amadeus Mozart) me fait penser à une petite marche solitaire que je m'étais octroyée à Tokyo. La nuit venait de tomber et je n'avais pas d'agenda précis si ce n'était de retrouver tout le monde un peu plus tard. Du coup j'avais une heure à tuer et pour déambuler à ma guise entre Daikanyama et Naka-meguro, ipod dans les mains. Rien de fou là-dedans, remonter des rues en solitaire, rentrer dans des petites boutiques de quartier, m'acheter un gâteau à base d'azuki (ma passion), bref, juste l'impression de m'approprier cet espace, d'imprimer dans mon cerveau mon propre voyage.

> La ballade du mois de juin de Benjamin Biolay et Chiara Mastroianni me ramène à une tentative ratée d'attraper un avion pour Rome. N'ayant rien compris aux heures d'embarquement de Ryanair, nous avions tout simplement loupé l'avion. Du coup, retour à l'envoyeur, nous avions du rentrer à Paris pour refaire le même trajet le lendemain. Cette chanson a accompagné ces nombreux allers retours avec vue défilante sur la campagne version Ile de France.

> Everybody's gotta learn sometimes de Beck, cette reprise, globalement très mélancolique a marqué un tournant dans ma vie amoureuse.

> Nude as the news de Cat Power me transporte directement en septembre 1996, j'arrive à Dakar pour 2 ans, armée de mon Inrocks de la semaine avec Neneh Cherry en couverture et sa compil intitulée "une rentrée 96". Comme le déménagement n'est pas encore arrivé, j'use ce cd jusqu'à la corde. Je lis 20 ans, je porte des adidas gazelles vertes et des t-shirts Petit Bateau col rond bleu marine. Je me dis que je dois absolument regarder Kids de Larry Clark et qu'il est temps que j'apprenne la guitare.

Et puis il y a les chansons qui vous font voyager dans des territoires émotionnels ou géographiques inédits:

> Walk on the wild side de Lou Reed me transporte dans la légende fantomatique du Chelsea hotel.

> Easter de Patti Smith me fait remonter les allées d'une église au côté de Rimbaud

> There is a light that never goes out des Smiths me confie le volant d'une voiture déambulant à toute vitesse dans le Manchester des années 80, et me fait vivre par procuration la plus belle et désespérée des déclarations d'amour.

Bon je pourrais continuer longtemps...  Donc pour terminer, on écoute les Smiths, on jette des lys en l'air et on pleure...


 Allez cheers!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire