vendredi 8 décembre 2017

Talk that talk

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"Love words, agonize over sentences. And pay attention to the world.” Susan Sontag

Depuis plus d’un an, je perds mes mots. C’est un processus déroutant. Je m’entends parler et je me trouve imprécise, infoutue d’exprimer une pensée un tant soit peu cohérente. Je cherche mes mots, longtemps, péniblement  et comme je ne les trouve pas, je les troque contre d’autres, beaucoup moins à propos. Le fond du discours n’est pas plus brillant, mon esprit court après une pensée, n’arrive pas à l’attraper, la formuler et entre alors dans une panique folle : je me répète, je digresse, je fais des erreurs, je m’entends les faire, je tente de rattraper en comblant le vide que tout cela engendre.
Devoir s’exprimer devant une audience a toujours été une épreuve mais converser, dialoguer, entrer dans le débat même si c’est pour avoir tort, juste pour le plaisir de faire un bon mot, de malmener la pensée et au fond s’exprimer de quelque manière, ça ne l’a jamais été. J’aime parler. Mais maintenant, je commence à ne plus pouvoir.  Je ne peux plus m’écouter.

Perdre la parole pour ne plus avoir à la prendre ; j’en suis là.

Les causes, je les connais. Il y a la confiance en soi qui depuis plus d’un an est au plus bas pour diverses raisons. Je crois que j'ai trop parlé, de tout ce qui n’allait pas, trop souvent, trop longtemps. Evidemment, en face, l’écoute s’est raréfiée, refermée. Je ne peux plus parler de ces choses, car non seulement je me répète, n’avance pas, mais aussi parce que les autres ne veulent plus entendre. 

Paradoxalement, la parole des autres inonde mon quotidien. A travers Twitter, l’écoute de podcasts, la lecture de presse de fond, des programmes de France Culture, je me noie dans la pertinence et l’à-propos des autres. Je vénère l’intelligence d’une Mona Chollet, recherche des interviews de Susan Sontag, note des tas de choses à lire (même si je me fais rapidement rattraper par ma forte propension à la procrastination). Si cette accessibilité de la fulgurance me plonge dans des abîmes de dépréciation personnelle (se confronter à l'intelligence des autres force à évaluer, en regard, la sienne), il a au moins le mérite de me rappeler la puissance d’une parole précise et surtout bien formulée.

Petit florilèges des paroles qui m'ont touchée dernièrement:
-    -  « Dans le genre de » d’Augustin Trapenard. J’ai toujours eu beaucoup de mal avec Augustin Trapenard, sa voix mielleuse, son maniérisme pour parler de littérature, j'ai toujours eu l'impression de voir un type se complaire dans l’auto-satisfaction (les portraits des Inrocks n'aidant pas à me prouver le contraire). Et pourtant, pourtant, en écoutant son interview dans l’émission de Géraldine Sarratia "dans le genre de", j’ai été très agréablement surprise. D’une part, parce que je l’ai trouvé réellement drôle et percutant lorsqu’il s’agit de parler de son enfance, de son homosexualité. Et puis parce que son univers est finalement habité de choses qui me touchent profondément : Les hauts de Hurlevent, Anthony and the Johnsons, Joni Mitchell (cette manière de qualifier avec autant d’acuité A case of you de chanson anthropophage, je ne sais pas pourquoi mais ça m’a soufflée).  

-      - Les nouveaux féminismes des Grandes Traversées de France Culture. 5 émissions consacrées aux thématiques de la sexualité, du genre, de la maternité… qui sont d’une intelligence rare tant dans la pluralité des opinions qu’elles expriment, que dans ce ton jamais péremptoire mais toujours percutant qui permet de comprendre les enjeux et le vocable du féminisme à l’aube des nouveaux combats. J’ai adoré entendre toutes ces personnes parler sur ces sujets de premier ordre.

-        Le tour de force de Sonia Devillers qui interviewe Elizabeth Lévy dans l’instant M. Je trouve que Sonia Devillers dans l’instant M arrive toujours dans un temps très contraint à adresser un sujet aux contours compliqués avec un sens de la synthèse et de la pertinence qui m’épate. Cette interview était particulièrement intéressante, d'une part parce qu'elle arrive à faire émerger d'une cacophonie sans nom, un réel propos sur la dilution des clivages politiques, la relation des média au politique, mais aussi parce qu'elle ne lâche rien, Sonia, c'est la pugnacité même mais sans hargne. Sonia, embauche-moi, je veux faire de l'analyse média avec toi.

-        La newsletter de Titiou Lecoq. Je ne suis pas une grande lectrice de newsletters, je ne prête réellement attention qu'à « la minute papillon » qui parle de nutrition et de cuisine parce que j'y apprends plein de trucs. Mais le deuxième objet que je consulte réellement, c'est la newsletter de Titiou Lecoq du vendredi. Outre la compilation d’articles toujours bien choisis, je suis toujours impressionnée par la manière dont cette journaliste arrive à mettre en perspective, interroger le monde dans lequel on vit, avec engagement et humour, sortir des sentiers battus. J’ai l’impression d’être face à une femme profondément intelligente, curieuse, engagée mais qui pourrait être cette copine avec laquelle tu as envie de débattre de tout, tout le temps, tout en buvant du vin.   la preuve, elle vient de sortir un essai parfait sur le féminisme confronté aux tâches ménagères qui me parle particulièrement (je suis en train de le lire, c'est parfait, fouillé, drôle, engagé, didactique, bref je suis en mode fan).

-        Les introductions de Charlotte Pudlowski dans l’émission Transfert. Je crois que j’écoute de plus en plus Transfert rien que pour ces introductions. J’aime sa voix douce, ce choix des mots. Pour s’en rendre pleinement compte, il faut écouter le début de l’émission du 21 septembre 2017 où elle lit cette fameuse description de la tentation du suicide de David Foster Wallace. J’étais en voiture, ça m’a saisie.

Bon ce n'est qu'un bref aperçu car tous les jours, pleines de bonnes choses viennent nourrir mes yeux, mes oreilles et in fine mon cerveau. mais comme Daho vient de sortir un nouvel album et que j'ai écouté environ 25 000 fois cette chanson depuis, je déclare que je retrouverai la parole "après le blitz".

Allez cheers!


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