mercredi 19 mars 2014

Dirty dirty hipster


































Voici une image tirée de la nouvelle identité publicitaire de la marque Alain Figaret. Quand j'ai vu cette affiche dans la rue cet hiver, je me suis dit que vraiment la publicité tombait parfois complètement à côté. Alors oui, le jeune homme est pas mal, la photo réussie, le noir et blanc assez léché, mais pitié.... pourquoi cette marque est allée se fourvoyer dans le recyclage de la figure un peu pénible du hipster à barbe??? 

Je vois tout à fait le brief de départ donné à l'agence: Alain Figaret, marque de chemises de qualité, a besoin d'un bon coup de frais; aujourd'hui son public se compose d'hommes de cinquante ans assez classiques qui portent facilement un pull rose noué sur les épaules. Pas tombé dans la désuétude de Façonnable, pas dans le public d'Eden Park et pas aussi abordable que Café Coton, Alain Figaret se fait petit à petit concurrencer par des marques ultra-classiques mais plus jeunes telles que Vicomte A. Bref, il est temps de regagner des parts de marché, de rajeunir la cible d'autant que rebondir sur le retour à un certain classicisme dans la mode paraît être une opportunité intéressante (cf. le retour de la Barbour, des mocassins docksides Sebago, les cols claudine, les pulls pur shetland, les chemises bien repassées aux coupes droites et rigoureuses, les cartables Filson...). 16eme arrondissement de Paris, tes codes ne font plus peur à la foule branchée du 11eme arrondissement. Bon, on en est pas encore, quand même, à s'afficher avec un mini sac à dos Longchamp pliable rose mais mais...

Bref, j'ai moi même des vieilles chemises Alain Figaret (mon côté jeune fille qui a connu l'uniforme de pensionnaire) et c'est vrai que leur coton est beau, qu'elles sont bien coupées et ont su résister au temps qui passe avec élégance; du coup je me dis qu'en effet, il y a quelque chose à faire pour que cette marque retrouve un territoire un peu plus tendance, qu'elle séduise un public plus jeune. D'autant que d'autres ne se privent pas de vendre à prix d'or un savoir-faire "made in France" qui s'appuie un peu trop sur l'image et pas vraiment sur la réalité de leurs productions.

Je trouve toujours excitant d'assister au renouveau créatif et publicitaire d'une marque. La dernière en date qui m'a marquée, c'était Rodier. Voir cette marque s'épanouir sur un nouveau territoire tout en gardant ses pieds ancrés dans son savoir-faire, c'était amusant et puis très réussi. Il y a d'autres exemples comme Carven, Kenzo voire même dans un autre style le revirement assez Slimanien de de Fursac.Toutes ces marques ont su lier un nouveau style à une nouvelle image. Ils ont su s'approprier les tendances mais pour en tirer une nouvelle proposition. On sent que Lacoste essaie également de faire ça depuis le passage de Christophe Lemaire mais le manque de répondant en boutique fait que cela ne fonctionne pas tout à fait. Petit Bateau, quant à elle, tente des choses intéressantes mais entre les collaborations qu'on ne comprend pas toujours (Christian Lacroix?), la réutilisation permanente et en flux tendu de ses gimmicks iconiques, là encore le potentiel d'amélioration n'est pas complètement exploité.


Mais alors pourquoi, dans le cas d'Alain Figaret, face à un brief a priori intéressant, la réponse se révèle-t-elle aussi tristement paresseuse?

Quand je regarde cette publicité, j'y vois tous les clichés de la marque qui cherche à draguer le trentenaire parisien à tout prix: 
- On va mettre un barbu parce que la barbe c'est comme le barrista, c'est désormais incontournable. Portland meets Paris en un seul visuel.
- Pour la campagne, on va lui mettre un nœud pap, trop swag, en plus, on peut rebondir sur la tendance Stromae et taper large dans l'imaginaire.
- Notre barbu se fiche des codes, il est un peu métrosexuel mais pas trop (il a des rides, il accepte ses rides), il se balade en tuxedo en plein après-midi parce que voilà, c'est ça la classe....
- On va mettre notre barbu sur un skateboard parce qu'aujourd'hui, si tu vas place de la République tu vois tous ces jeunes pères créatifs qui tentent de renouer avec leurs 15 ans (de manière un peu pathétique) en faisant des flips un peu loupés... Et puis le skate, c'est la rebellion... L'invoquer c'est induire le fait qu'on sorte des sentiers battus, qu'on s'affranchit de tout (et du code de la route surtout) et là tu vois en quoi l'agence s'est clairement fourvoyée: être rebelle, c'est faire du skate rue de Rivoli, le long des Tuileries, c'est sûr que là on est pas dans Wassup Rockers ou dans Paranoïd Park... On a bien envie de les mettre devant le très intéressant documentaire sur la manière dont la contre-culture skate s'est emparée de New York, Deathbowl to Downtown et combien elle a souffert de la gentrification progressive de la ville.
- On pourrait se dire que ce n'est qu'une erreur mais non, si on regarde la totalité du look-book (que je vous épargne ici) on retrouve notre barbu portant péniblement son vélo (bon là clairement il y a eu erreur, parce que le barbu, le vrai, porterait un fixie or là, il y a des freins, peut-être y a t-il eu un problème de stylisme vélo le jour du shooting??? Je m'interroge).
- De même, notre barbu porte des bretelles, marche toujours hors du trottoir, se couche négligemment sur une fiat 500 vintage; autant de signes qui pourraient tous finir dans "Où est le cool cette semaine?", la rubrique totalement vaseuse des Inrocks.

Ahhhh, ça pourrait durer des heures...

Cela me fait un peu de la peine de taper comme ça sur Figaret alors qu'il y a clairement bien d'autres méfaits publicitaires plus graves commis chaque jour (on parle de l'agro-alimentaire?) mais là cette publicité m'a vraiment fatiguée, je me suis dit qu'on ne poussait pas les annonceurs à être créatifs et que c'était dommage... On croit qu'une publicité va fonctionner, va pousser à l'identification parce qu'elle accumule les codes aspirationnels. Mais non, les publicités qui fonctionnent le mieux sont celles qui, finalement, ne sont pas saturées de codes balisés, celles qui savent s'affranchir et créer justement de nouveaux émules. Je me demande si, dans les prochains visuels, notre barbu se retrouvera adossé à un buffet scandinave, dégustant un latte affublé d'un beanie.

Allez cheers! Je vais boire un bubble tea matcha en écoutant Sonic Youth (enfin, non ça c'est dans mes rêves, je vais aller travailler).


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